Histoire de la profession d'huissier de justice
aujourd'hui commissaire de justice
Depuis quand les huissiers de justice existent-ils ?
La fonction est apparue très tôt dans l’histoire des sociétés humaines : Il est celui qui assure la police lors des jugements et / ou qui assure que soient appliquées les décisions de justice. Apparitores, sergent, huissier à cheval ...
Son titre et son cadre d’action varient au gré des époques. L’histoire des huissier de justice s’inscrit dans celle du droit, de l’Etat, mais également de la politique, de l’économie et de la société. Le statut et les compétences de l’huissier de justice ont évolué depuis le Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle. La profession s’est ensuite structurée depuis le début du XIXe siècle jusqu’à nos jours.
Une profession historiquement
au service de l’Etat

Huissier appariteur
Sous l’Antiquité : au service des tribunaux et exécution
Au Ier et IIe siècles de notre ère, sous la pax romana (paix romaine), les décisions des juges sont appliquées par plusieurs catégories d’agents – officiales, Viatores, executorum Latium, cohortales, statore… au rang desquels émergent particulièrement :
• Les apparitores : ils avertissent le peuple afin de le rassembler au moment des jugements, introduisent les plaideurs et assurent la police des audiences (maintien du silence en particulier).
• Les executores : ils saisissent les biens des débiteurs désobéissants, voire les conduisent en prison.
Leur essor est étroitement lié au contexte de la paix romaine, l’administration de Rome étant alors engagée dans une oeuvre de pacification via le développement d’un système légal unifié. Cette période d’unification subit une inflexion avec les migrations barbares.
Au Moyen-Âge : fragmentation des rôles et des missions
Un coup d’arrêt est porté à l’essor de la justice publique au profit d’une justice privée. En France, le royaume se réorganise lentement autour d’un ensemble de hiérarchies hétéroclites. En effet le pouvoir des souverains est limité territorialement, et chaque province a la possibilité de mettre en place sa propre organisation judiciaire.
Les anciens officiales sont de plus en plus nombreux, et leur niveau d’instruction est très variable. Bedeaux, serviens, semonceurs (les semonces étaient les ancêtres des exploits, les actes d’aujourd’hui) puis « Sergents » et « huissiers » interviennent au service d’une autorité seigneuriale, ecclésiastique ou royale.
Serviteurs du pouvoir, les sergents comme les huissiers sont au service du juge. Leurs missions consistent à effectuer :
• des assignations,
• des saisies,
• des ventes de meubles,
• certains procès-verbaux.
Un décret datant de 1327 énonce que l’huissier devait avoir un bon cheval de la valeur de 100 livres, des armes suffisantes et une « verge» de la valeur de 50 livres. Selon une ordonnance de mai 1425, les huissiers et les sergents doivent être mariés, tonsurés et porter un costume rayé. L’un des éléments caractéristiques de leur autorité est la « verge », décrite sous les traits d’une petite baguette ronde, en ébène, longue d’une trentaine de centimètres et garnie de cuivre ou d’ivoire. D’après un décret datant de 1568, les huissiers devaient toucher, « ceux auxquels ils auront la charge de faire exploit de justice ».
Spécifiques, ces missions se révèlent bien différentes de celles des juges, des commissaires, des enquêteurs et des notaires dans la mesure où huissiers et sergents occupent le rang de dernier officier de l’appareil de justice. Leur pouvoir est strictement lié au ressort des juridictions et leurs costumes et missions diffèrent d’un territoire à l’autre, entraînant une certaine confusion dans leur définition. Dans certains cas, le cadre d’intervention des sergents peut croiser celui des huissiers.
À l'époque Moderne : naissance du corporatisme
Avec l’unification du royaume de France on observe un clivage entre les agents de l’autorité du roi d’un côté et les huissiers dépendant des justices ecclésiastiques et seigneuriales.
Dans la seconde partie du moyen âge, avec l’émergence du corporatisme, on voit différentes communautés d’huissiers se structurer. L’une des premières confréries à avoir été créée, avec l’accord du roi Charles VI, est celle des sergents à cheval du Châtelet de Paris.
Les conditions requises pour intégrer la corporation sont alors relativement floues : des conditions d’âge, de résidence, de loyauté et d’expérience sont ainsi édictées avec dans certains cas, un examen d’entrée. On constate que la recommandation, en particulier d’un parent lui-même appartenant à la corporation est souvent déterminante pour l’intégrer.
Révolution française : la profession d’huissier de justice se structure avec la centralisation du pouvoir
En 1789, la Révolution française sonne le coup d’arrêt des parlements, les justices seigneuriales, ecclésiastiques et royales. Bien que le paysage judiciaire soit largement déconstruit et réorganisé, les huissiers de justice poursuivent leurs missions, adoptant une certaine neutralité face aux changements de régimes. Si la vénalité des offices est abolie, elle sera rétablie en 1816.
La structuration du pouvoir national permet d’affiner le statut des huissiers. -qui doivent désormais présenter un certificat de civisme- de fixer leur répartition auprès des tribunaux et d’édicter les règles de nomination. Ainsi, le 10 août 1800, l’arrêté du 22 Thermidor an VIII attribue au 1er consul le pouvoir de nommer les huissiers de justice.
Trois catégories apparaissent alors :
• les huissiers ordinaires
• les huissiers de justice de paix
• les huissiers-audienciers
• les huissiers de justice de paix
• les huissiers-audienciers
XIXème et XXème siècle,
évolution du cadre de la profession d’huissier de justice

Panonceau d’officier ministériel du XIXème siècle
L'huissier est le premier dépositaire de la confiance des parties ; il connaît leurs secrets, leurs peines, leurs intentions; il est presque toujours le maître de les diriger, lorsque les difficultés ne s’étendent pas au-delà d’un certain cercle, et on sait que ces sortes d’affaires sont en très grand nombre ; il engage les parties à se rapprocher, en employant tous les moyens licites qu’il croit propres à y parvenir ; il les concilie sur leurs différends, et rétablit entre-elles la bonne intelligence.
Baron Guillaume-Jean Favard de Langladeavocat, député, partisan du coup d’Etat du 18 Brumaire et rédacteur du décret de 1813
Ministère paternel et médiation sociale : le décret fondateur du 14 juin 1813
Au début du XIXe sièclet, la conception du rôle de l’huissier de justice, s’il est toujours lié à l’Etat, s’inscrit désormais dans une action éminemment sociale. Il pénètre dans l’intimité des familles les moins aisées, prend en compte leurs difficultés, et joue auprès d’elles un rôle de médiation.
Le décret de 1813 diminue le nombre d’huissiers de justice en conditionnant l’accès à la profession :
• Obtention d’un certificat de moralité, de bonne conduite et de capacité
• Etre âgé d’au moins 25 ans
• Avoir la nationalité française
• Avoir effectué sa période de conscription militaire
• Avoir fait un stage de 2 ans au sein d’une étude d’huissier ou d’avoué
Par ailleurs les huissiers de justice ont l’interdiction de cumuler leur fonction avec d’autres activités publiques ou de négoce, interdiction qui s’applique également à leur épouse.
L’huissier de justice doit être désintéressé. Pour cela :
• les tarifs de ses prestations sont déterminés par l’Etat
• des chambres de disciplines sont créées et règlent les difficultés et conflits internes à la profession
• une bourse commune, abondée par le versement des 2/5èmes des émoluments
• des huissiers d’un même arrondissement paye les frais de la communauté et garantie à chaque huissier un revenu minimum
La profession s’institutionalise
L’édiction de règles claires d’accès produit un sentiment d’appartenance professionnel qui est bientôt sanctionné par la création en 1842 de la Communauté des huissiers de France, animée par un Comité central. Elle a pour objet de garantir la défense de la profession auprès des pouvoirs publics et politiques du pays et gagne rapidement une grande représentativité.
Pendant la seconde moitié du XIXème siècle, l’état réglemente la profession :
• réduction du nombre des offices,
• amélioration des conditions d’existence des huissiers de justice,
• meilleure administration de la justice.
La représentation nationale des huissiers de justice est, de son côté, préoccupée par des conditions de vie délicates, provoquées par une tarification figée et une réduction du champs des compétences. Le quotidien des huissiers est également bouleversé par l’exode rural.
XXème siècle : Naissance de la Chambre nationale et représentation internationale
Le 20 mai 1942, une loi crée la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ), la première réunion de celle-ci intervenant le 7 décembre 1942.
La CNHJ est composée de délégués qui représentent chaque Cour, la Cour de Paris étant pour sa part représentée par trois délégués. Son statut est arrêté par une ordonnance du 2 novembre 1945. Les règles internes de la profession sont rapidement modifiées, dans les années 1950, notamment afin d’accorder une plus large représentation de la province. Le 20 mai 1942, une loi crée la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ), la première réunion de celle-ci intervenant le 7 décembre 1942. La CNHJ est composée de délégués qui représentent chaque Cour, la Cour de Paris étant pour sa part représentée par trois délégués. Son statut est arrêté par une ordonnance du 2 novembre 1945. Les règles internes de la profession sont rapidement modifiées, dans les années 1950, notamment afin d’accorder une plus large représentation de la province.
LA CNHJ :
• défend les intérêts de la profession• milite en faveur de la proportionnalité de la rémunération
• assure la formation des candidats
• crée des chambres régionales
• met en place un cadre qui garantit un coût de transport fixe pour chaque acte, afin d’aplanir les inégalités de frais de transport entre les huissiers de justice exerçant en milieu urbain et ceux exerçant dans le monde rural
• créé une caisse de retraite en 1961, pour les employés des études
• crée une caisse d’entraide, sur le modèle des oeuvres sociales patronales, afin de proposer un soutien aux huissiers de justice en situation personnelle, familiale ou financière délicate
• créé une caisse des prêts, qui octroie une aide aux candidats ne pouvant assumer seuls l’achat d’un office
• créé la caisse de garantie qui assure les membres de la profession en cas de sinistre
Le financement de ces deux dernières entités est assuré par les cotisations de la totalité des membres de la profession. Le premier congrès international des huissiers de justice se tient à Paris en 1952, à l’issue duquel est créé l’Union internationale des huissiers de justice dont la CNHJ devient membre. En 2012 est également créée la Chambre européenne des huissiers de justice, dont la CNHJ est membre fondateur. Au début des années 1970, la profession d’huissier de justice apparaît donc structurée. Ce résultat est le fruit d’un lent processus socio-historique, qui a vu le métier d’huissier passer par des phases de morcellement de son activité – au Moyen-Âge notamment – mais également par des phases de structuration – en 1813, puis dans les années 1942-1955.
XXIème siècle,
de l’huissier au commissaire de justice
Depuis le texte fondateur de 1945, le périmètre de l'activité des huissiers est balisé, balancé entre activités monopolistiques et les activités concurrentielles : Si la profession connaît comme tous les secteurs d’activités les bouleversements de l’arrivée de l’informatique et d’Internet c’est au début du XXIème siècle, que deux lois vont profondément faire évoluer la profession.

Débat public national organisé par la Chambre nationale sur le projet de loi Croissance et activité en présence d’Emmanuel Macron, ministre de l’Economie.

La loi Beteille de 2010 : élargissement des prérogatives de l’huissier de justice
La loi dite Béteille du 22 décembre 2010 renforce la force probante du constat : elle en fait un acte authentique, dont les mentions relatives aux constatations valent « jusqu’à preuve du contraire ». C’est la preuve la plus forte qui soit en mesure d’être produite devant un tribunal.
Le constat d’état d’abandon d’un bien immobilier est une mesure destinée à faciliter la reprise d’un appartement, dans l’hypothèse où son locataire le quitterait volontairement dans le cadre d’une procédure d’expulsion : L’huissier de justice est appelé ici à constater l’état d’abandon du logement, en vue de faire constater la résiliation judiciaire du bail d’habitation par le juge.
La loi Béteille permet par ailleurs aux huissiers de justice de procéder à l’établissement des états des lieux locatifs. Selon l’article 22 de la loi, l’état des lieux est établi par les parties ou par un tiers mandaté par elles, de manière contradictoire et à l’amiable.
La loi Beteille attribue aux huissiers de justice d'accomplir des mesures conservatoires jusqu’alors prises en charge par les greffiers en chef des Tribunaux d’instance.
La loi Béteille permet le déploiement de la signification par voie électronique. En effet, elle prévoit la mise en place d’un « fichier des consentements » qui accepte que les actes lui soient délivrés par voie électronique. Quant à la Chambre nationale, elle procède à la gestion du système en actualisant les informations sur le consentement, l’adresse électronique et l’adresse physique du destinataire.
Enfin la loi créé pour les titulaires de l’examen professionnel la possibilité d’exercer sous le statut de salarié.
La loi Macron de 2016 : vers une mutation de la profession
La loi pour la croissance et l’activité du 6 août 2015, a été impulsée par le ministre de l'Economie d’alors, Emmanuel Macron, reprenant à son arrivée les travaux de son prédécesseur Arnaud Montebourg.
Le volet professions réglementées de la loi vient profondément bouleverser le métier d’huissier de justice sur les aspects suivants :
Extension de l’activité avec la création d’une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances.
Liberté d’installation : l’Autorité de la concurrence détermine désormais tous les deux ans des zones de “libre installation”, assorties d’un nombre d’offices à créer, dans lesquels des huissiers de justice peuvent s'installer sans reprendre les parts d’un office déjà existant.
Révision régulière du tarif réglementé : L’Autorité de la concurrence réévalue tous les deux ans le tarif des actes monopolistiques réalisés par les huissiers de justice, dans l’objectif de correspondre mieux à leur coût réel.
Compétence territoriale élargie : pour les activités non monopolistique (constat, recouvrement amiable…) les huissiers de justice peuvent exercer sur tout le territoire national (alors que l’activité de constat était auparavant soumise à la compétence du tribunal de grande instance).
Pour la signification des actes et l’exécution des décisions de Justice, la compétence s’exerce dans le ressort de leur Cour d’Appel et non plus du TGI.
Création du commissaire de justice: la loi Macron impulse la création d’une nouvelle profession, issue de la fusion des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires.
Le métier de commissaire de justice verra définitivement le jour le 1er juillet 2022;
Pour aller plus loin : Huissiers de justice : Monographie d’une profession en mouvement